Les efforts conjugués d’un couple pour un don de sang très spécial

16 juin 2023
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Man donating blood with partner smiling at his side

De nouveau admissible au don de sang, Jake Chevrier a pris rendez-vous là où travaille son partenaire.

La main de Tanner Tuplin tremble très légèrement lorsqu’il approche l’aiguille du bras du donneur. Il a pourtant des milliers de prélèvements à son actif, mais, cette fois, il s’agit d’un don bien spécial.

Car aujourd’hui, le donneur, c’est son partenaire, Jake Chevrier. C’est la première fois depuis des années que Jake donne de nouveau de son sang. Il avait commencé à l’adolescence, mais avait ensuite dû arrêter à cause de son homosexualité.

« Quand il y a eu ce changement, j’ai mis du temps à réaliser ce qui se passait et pourquoi. Je n’arrêtais pas de me repasser le film en boucle : “Avant, je pouvais donner du sang. Pourquoi, tout d’un coup, je ne peux plus!?” », explique-t-il.

Si Jake a dû arrêter de donner du sang, c’est à cause d’une politique mise en œuvre à l’heure où les connaissances scientifiques et les tests pour le VIH et sa transmission n’en étaient qu’à leurs balbutiements. À l’instar d’autres fournisseurs de sang, la Société canadienne du sang était alors fortement tributaire des critères de sélection pour protéger les patients. Pendant des décennies, de nombreux hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ainsi que de nombreuses femmes trans, n’ont plus été admissibles au don de sang.

Même s’il comprenait le pourquoi de la politique, Jake ne se sentait pas moins blessé d’être exclu, surtout en sachant qu’il y avait des patients sur liste d’attente. Il se souvient par exemple très nettement de cette journée de juin 2016 où un homme armé a tué 49 personnes et en a blessé au moins 50 autres à la discothèque Pulse, un lieu très fréquenté par la communauté gaie d’Orlando, en Floride. Certains de ses amis avaient voulu donner du sang pour les victimes. Il avait dû leur dire que ce n’était pas possible.

« Je me sentais tellement impuissant, je ne pouvais absolument rien faire », se rappelle Jake. « Je n’avais pas d’argent. Je ne pouvais pas être bénévole, parce que c’était aux États-Unis et que j’étais encore au secondaire. La seule chose que j’aurais pu faire, c’était donner du sang. Et, même ça, je n’en avais pas la possibilité. »

Two men donating blood, while another man assists and a woman sits in the middle.
Pendant que Jake Chevrier donne de son sang avec l’aide de son partenaire Tanner Tuplin, le père de Tanner, Glen (à gauche), fait également un don de sang. La mère de Tanner, LeeAnne, employée à la Société canadienne du sang depuis 25 ans, les accompagne.

La Société canadienne du sang adopte la sélection des donneurs basée sur les pratiques sexuelles

Aujourd’hui, on demande à tous les donneurs potentiels, sans égard à leur genre ou à leur orientation sexuelle, s’ils ont eu un nouveau partenaire sexuel ou plusieurs partenaires au cours des trois mois précédant le don. S’ils répondent par l’affirmative à l’une de ces questions, ils doivent ensuite indiquer s’ils ont eu des relations sexuelles anales avec l’un de ces partenaires. Si c’est le cas, ils devront attendre trois mois après leur dernière relation sexuelle anale pour pouvoir donner du sang. Sinon, et s’ils répondent à tous les autres critères d’admissibilité, ils pourront donner du sang ou du plasma, un composant du sang.


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Tanner, qui est employé à la Société canadienne du sang, a pu suivre de l’intérieur ce changement progressif. Lorsqu’il a rejoint l’organisation en 2016 au service à la clientèle auprès des donneurs, les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ne pouvaient pas donner de sang pendant les cinq années suivant leur dernier rapport sexuel. Mais la Société canadienne du sang a peu à peu rassemblé des données probantes fondées sur des recherches réalisées au Canada et ailleurs, et Santé Canada a par suite approuvé plusieurs demandes de réduction de cette période d’attente.

« On est d’abord passé à un an. Je me suis dit “Ok, on est sur la bonne voie.” Puis, c’était six mois, et ensuite trois mois », se souvient Tanner. « Là, je me suis dit “Wow, on va vraiment y arriver!” ».

« J’étais tellement excité de savoir que certains donneurs allaient être à mon image, et que ma communauté allait maintenant faire partie de mon travail! Car j’en connais, des personnes de notre communauté qui veulent donner. »


Faites toute la différence

Donner du sang ou du plasma


Parallèlement à l’évolution des connaissances scientifiques et des techniques de test, la Société canadienne du sang a pu rassembler les preuves requises par Santé Canada pour passer à la sélection de tous les donneurs basée sur les pratiques sexuelles, et non sur l’orientation sexuelle. C’est cette nouvelle formule entrée en vigueur en septembre 2022 qui a permis à Jake de recommencer à donner du sang.

Une attente émaillée d’âpres échanges

Mais l’attente n’a pas été facile. Lorsque Tanner a commencé à travailler pour la Société canadienne du sang, il vivait au cœur du village gai de Toronto. Il entendait la colère et la frustration de sa communauté à l’égard de cette politique qui en empêchait bon nombre de donner du sang. Et comme il s’efforçait de faire coïncider ces points de vue avec sa contribution à la Chaîne de vie du Canada, il a décidé d’en savoir plus.

« J’avais besoin de comprendre pourquoi ces règles existaient », explique Tanner. « J’avais besoin de comprendre que le rôle de la Société canadienne du sang était de fournir à Santé Canada toutes les recherches nécessaires à ce changement. »

Certains de ces âpres échanges, il les a eus avec Jake. Heureusement pour Tanner, Jake était tout autant disposé à l’écouter que transporté par l’enthousiasme de son partenaire à aider les patients.

« L’année qui a suivi notre rencontre, j’allais le chercher à son travail, et quand il montait dans la voiture, il me disait “J’aide à sauver des vies. C’est dingue!” », raconte Jake. « Je lui répondais “Oui, c’est vraiment cool. ” Il avait tellement d’ardeur en lui! »

Mais, pour Jake, cela n’a pas été si facile que ça de retourner dans ce lieu d’où on l’avait exclu pendant des années. Finalement, c’est mû par une profonde solidarité envers les patients qu’il a retrouvé sa chaise de donneur. Le jour J, il était heureux d’avoir le soutien de Tanner et de sa mère LeeAnne Tuplin, elle-même employée de la Société canadienne du sang depuis 25 ans, et de retrouver la gentillesse du personnel du centre de donneurs.

Man relaxing in donor bed after blood donation with his partner and partner’s parents at his side.
Jake Chevrier se repose après son don de sang, accompagné de son partenaire Tanner Tuplin et des parents de Tanner, LeeAnne et Glen.

Rétrospectivement, il n’a que de bons souvenirs de ce moment

« C’est vraiment très gratifiant de savoir qu’on aide quelqu’un qu’on n’a absolument jamais rencontré », explique Jake. « Par la suite, plusieurs personnes m’ont raconté qu’elles avaient eu besoin de produits sanguins. Sans ce système d’approvisionnement en sang, ces merveilleux êtres humains ne seraient pas là. »

Il y a encore des hommes gais, bisexuels et d’autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ainsi que certaines femmes trans, qui ne sont pas admissibles au don de sang et de plasma. Mais, à toutes les personnes qui répondent aux critères, Jake recommande sans hésitation de penser au don de sang.

« J’ai envie de leur dire “N’attendez pas, faites-le maintenant!” », lance Jake. « Vous trouverez toujours une raison de ne pas le faire, parce que vous êtes trop occupé, que vous n’avez pas le temps... Or un simple coup de fil suffit. »

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