Lettre à la rédaction de Maclean’s en réponse à l’article « A bloody mess: The story behind paid plasma in Canada » publié le 22 novembre 2017


Ayant consacré les vingt dernières années à rebâtir le système d’approvisionnement en sang et à regagner la confiance des Canadiens dans ce maillon essentiel de la chaîne de santé du pays, la Société canadienne du sang se sent obligée de répondre à l’article d’Anne Kingston. Bien qu’il creuse de nombreux aspects du monde complexe de la collecte de plasma, l’article contient des énoncés inexacts et non fondés, notamment celui selon lequel notre organisation aurait tenté d’intimider l’autorité de réglementation. Cette affirmation, non corroborée, est fausse et ne tient pas compte du fait que le fournisseur de sang et l’autorité de réglementation doivent maintenir le dialogue sur les questions revêtant un intérêt crucial pour les Canadiens.


La Société canadienne du sang a été créée en 1998 pour gérer l’approvisionnement en sang, en produits sanguins et en cellules souches pour les provinces et les territoires du Canada, sauf le Québec. La gestion des réserves et des services connexes devait se faire selon les recommandations du rapport Krever, déposé dans la foulée de la crise du sang contaminé. Depuis notre création, nous pensons d’abord aux patients; nous travaillons à améliorer les résultats pour les patients en fournissant des produits et des services sûrs, de qualité, et adaptés à leurs besoins. Je vous écris aujourd’hui pour éclaircir notre perspective ainsi que le rôle de la Société canadienne du sang dans le débat public sur l’émergence de sociétés de collecte de plasma à but lucratif au Canada.


La Société canadienne du sang a toujours assuré la gestion du plasma au Canada, ce qui implique aussi bien la sécurité du produit que celle de l’approvisionnement. En 2004, après avoir consulté spécialistes, gouvernements, groupes de patients et autres parties intéressées, nous avons déterminé que nous pourrions répondre entièrement aux besoins en immunoglobulines intraveineuses — la protéine plasmatique, ou produit dérivé du plasma, la plus administrée aux patients — en recueillant 40 pour cent de plasma brut pour fabriquer des protéines plasmatiques; pour les 60 pour cent restants, nous achèterions le produit fini de sociétés pharmaceutiques d’autres pays (principalement les États-Unis). Le pourcentage d’autosuffisance avait été rajusté à la baisse dans les années qui ont suivi, mais comme la demande a récemment augmenté et que l’approvisionnement mondial est confronté à de nouveaux risques, le taux d’autosuffisance recommandé a été ramené à 50 pour cent. Ce pourcentage garantit un équilibre entre le risque d’une interruption de l’approvisionnement et l’abordabilité des produits, tout en assurant une certaine diversité géographique des sources. S’il est vrai que l’innocuité des protéines plasmatiques était un sujet de préoccupation dans les années 80 et avant, ce n’est plus le cas depuis la modernisation des procédés de fractionnement et de purification. 

Au fil des ans, plusieurs ont confondu deux dossiers : la sécurité de l’approvisionnement et la sécurité des protéines plasmatiques faites à partir de plasma brut provenant de donneurs rémunérés. La Société canadienne du sang a clairement indiqué que ces protéines plasmatiques ne représentent pas un danger. Rien ne montre qu’il y a une différence dans l’innocuité des protéines plasmatiques fabriquées à partir du plasma de donneurs rémunérés versus non rémunérés. Outre l’évaluation des donneurs et des analyses poussées, le processus comprend des étapes d’inactivation et de purification qui éliminent toute trace d’agent pathogène. Au bout du compte, les protéines plasmatiques sont extrêmement sûres; les associations de patients elles-mêmes en ont la conviction. Cette position s’appuie sur des données probantes et c’est celle que nous avons toujours exprimée à nos bailleurs de fonds et à l’organisme qui nous réglemente. Dire le contraire est trompeur et mal avisé, surtout compte tenu du fait que des milliers de patients au Canada dépendent de protéines plasmatiques pour rester en vie. Semer la panique en propageant des inquiétudes non fondées sur l’innocuité de ces médicaments risque d’avoir des effets dévastateurs sur les patients. Qui plus est, cela entraîne une confusion inutile dans le débat. Cela dit, conformément au principe que la Société canadienne du sang a toujours respecté, nous n’avons pas l’intention de rémunérer les donneurs qui contribuent à notre système. 

Nous ne pouvons garantir un approvisionnement à long terme en plasma pour la production d’immunoglobulines qu’en augmentant le volume de plasma recueilli grâce au système à but non lucratif, financé par des fonds publics, que nous exploitons au nom des Canadiens et pour lequel nous sommes publiquement tenus de rendre des comptes. Les entreprises commerciales qui collectent du plasma ne sont pas obligées de réserver le plasma qu’elles recueillent aux Canadiens. Elles peuvent librement le vendre au plus offrant ailleurs dans le monde. Ces entreprises n’ont aucune obligation de tenir compte de l’impact du don de plasma rémunéré sur le bassin de donneurs de sang non rémunérés. Sur la scène internationale, pas seulement au Canada, on constate que le développement rapide de la collecte rémunérée de plasma a tendance à empêcher les organismes de collecte de sang non rémunérée à atteindre leurs objectifs. En Hongrie, par exemple, le développement des collectes de plasma à but lucratif a considérablement entravé la capacité du fournisseur de sang public à recueillir du sang (le nombre de dons de sang a baissé de vingt pour cent). Dans les marchés bien établis, comme les États-Unis, des voix commencent à s’élever contre l’expansion considérable des sociétés de collecte de plasma à but lucratif. Cette expansion, disent-elles, complique le recrutement des donneurs pour les organismes qui n’offrent pas de rémunération. Au Canada, si nous pensons pouvoir faire face aux défis que représente l’implantation d’un ou deux centres de collecte à but lucratif, c’est la multiplication de ce genre de centre, en particulier d’établissements de grande envergure, qui nous paraît préoccupante.

En tant que responsables du système d’approvisionnement en sang au Canada, nous travaillons en totale transparence avec les gouvernements, les associations de patients, les fournisseurs, des experts mondiaux, nos homologues étrangers, ainsi que toutes les autres parties intéressées identifiées dans notre cadre décisionnel, lequel est basé sur les risques et les données factuelles. En tant que responsables également de la gestion des protéines plasmatiques, nous communiquons avec tous les acteurs potentiels dans ce domaine. Nous avons été contactés par Canadian Plasma Resources. Après avoir étudié leur stratégie commerciale, nous avons conclu que leurs intérêts ne correspondaient pas aux nôtres et qu’ils n’avaient pas pour but de sécuriser l’approvisionnement en protéines plasmatiques au Canada. 

Il y a près d’un an, la Société canadienne du sang a présenté aux gouvernements un plan ambitieux expliquant que nous pouvons garantir un approvisionnement sûr et durable en plasma pour la fabrication des protéines plasmatiques destinées aux patients Canadiens. Selon ce plan, nous serions responsables de l’ensemble du processus, depuis la collecte du plasma brut jusqu’à la distribution des produits finis, afin d’en garantir l’accès au profit des patients canadiens. Notre plan contient une feuille de route qui permettra d’augmenter de manière substantielle la quantité de plasma que nous recueillons auprès des donneurs canadiens, selon notre modèle de collecte non rémunérée financée par des fonds publics. En octobre 2017, les ministres provinciaux et territoriaux de la Santé alors réunis lors d’une conférence, à Edmonton, « [se sont entendus] quant au besoin immédiat de prendre des mesures pour améliorer et augmenter les prélèvements de plasma au pays » (voir communiqué). Nous attendons donc avec impatience la décision des gouvernements concernant notre plan ainsi que le rapport du panel d’experts de Santé Canada sur l’approvisionnement en immunoglobulines et les répercussions connexes au pays. La population canadienne compte sur nous pour lui fournir le sang et les produits sanguins dont elle a besoin et, dans son intérêt, nous nous devons de travailler ensemble.

Je vous prie d’agréer, Madame, mes meilleures salutations.

Le chef de la direction de la Société canadienne du sang,

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Dr Graham Sher

Pour plus d’informations sur le plasma, veuillez consulter notre site Web.
Pour plus d’informations sur notre plan visant à sécuriser l’approvisionnement en plasma, veuillez consulter notre déclaration.

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